Dans Le silence de Perlmann, paru récemment en traduction française, Pascal Mercier (voir précédemment ici) ne peut s'empêcher de glisser quelques pages ayant trait à la musique.
On commence par faire la connaissance de quelques linguistes, tous réunis par le professeur Philipp Perlmann. Cinq semaines de colloque au bord de la Riviera italienne ce sont les unités de temps et de lieu.
D'entrée, on perçoit une rivalité entre deux participants : Perlmann et Millar. Et, c'est sur le terrain musical qu'ils s'affrontent.
Le deuxième soir, après le repas, on sollicite Millar de s'asseoir au piano.
La démarche légère, il se dirigea vers le piano à queue, déboutonna son blazer et ajusta le siège devant l'instrument. Perlmann se dit qu'il affichait le visage de quelqu'un qui s'efforce de ne pas paraître trop vaniteux tout en sachant que tous les yeux sont rivés sur lui [...]. C'était un visage attentif, concentré, qu'on aurait pu qualifier d'ému, sans que Millar ait fait la moindre tentative pour commenter la musique ou ses sentiments par quelques mimiques. Même cela me plaît, au fond. Pourquoi ne suis-je tout simplement pas capable de prendre Millar tel qu'il est, pourquoi faut-il systématiquement que je cherche la confrontation avec lui ?
Il jouait avec brio, ou plus exactement, se dit Perlmann après réflexion, il jouait avec compétence, bien que dans ce contexte ce fût un mot étonnant [...]. Mais il y avait davantage dans le jeu de Millar. Ce ne fut que de mauvaise grâce que Perlmann se rendit compte que Millar interprétait Bach dans un style extrêmement marqué, comme il n'en avait jamais connu [...]. Les notes qui résonnaient, conduisaient la partition, étaient comme la pointe mouvante d'une craie avec laquelle on écrit, pensait Perlmann, et dont on peut suivre le tracé entier sur un tableau. Mais n'est-ce pas le propre de toute mélodie, n'est-ce pas justement l'essence même de la forme musicale ; à quoi cela tient-il qu'il arrive à produire quelque chose de nouveau, de personnel, quelque chose d'unique ? Comment fait-il donc ? L'autre effet produit par le jeu de Millar résidait dans l'impossibilité, pour son auditoire, de se laisser submerger par la mélodie entendue [...]. Perlmann testa la pertinence d'une série de qualificatifs : austère, raide, dépouillé, froid, intellectuel, gothique. Il les élimina tous, les jugeant superficiels et stéréotypés. Force était de reconnaître que la spécificité du jeu de Millar ne résidait pas simplement dans l'expression de son tempérament, de son caractère, mais qu'elle représentait une véritable interprétation, une création personnelle de la musique de Bach. [pp. 139-141]
cop. Denzel
La seconde confrontation musicale, avec Perlmann au clavier cette fois-ci, se fera en toute fin de colloque, autour de Liszt et Chopin.
Six cents pages séparent les deux passages. Le temps à Perlmann de s'enfoncer dans le silence - pour seule réponse aux questions posées durant les cinq semaines, il ne fera qu'"un hochement de tête muet"... afin peut-être de se révéler à lui-même et constituer la dernière unité, celle de l'action.
Le rapport du romancier Pascal Mercier à la musique est dense et intime. Il s'exprime à ce propos dans l'entretien qu'il a accordé à Payot en 2008, mais garde une préférence pour le "silence absolu", ... comme son héros.
Vous ne pouvez plus venir emprunter des partitions jusqu'au 2 janvier, plongez dans la lecture de ce roman tourmenté et passionnant ou testez-vous à jouer le prélude de Bach après l'interprétation de Millar !
Disponibilité (Pascal Mercier)
Disponibilité (Johann Sebastian Bach)
Muriel
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